Comment j’ai transformé mon iPad en outil de communication alternatif

Comme j’en ai déjà parlé à plusieurs reprises, mon grand-père a subi l’été dernier une laryngectomie totale. Pour l’aider au mieux dans sa réadaptation, et comme je suis trop loin pour lui apprendre la voix œsophagienne (l’une de mes collègues à côté de chez lui s’en occupe très bien), je me suis demandé dans quelle mesure une tablette pourrait l’aider à communiquer.

Utiliser sa propre voix

Tout d’abord, nous avons enregistré quelques échantillons de sa voix avant l’opération, échantillons que j’ai ensuite isolés à l’aide du logiciel Audacity.

Puis j’ai cherché une application qui permette d’intégrer ces échantillons de voix dans une grille d’images et mon choix s’est porté sur Tapikeo (3,59€).

tapikeo1

J’ai donc créé des grilles regroupant du vocabulaire similaire (ex : les noms des membres de la famille, les fruits et légumes qui poussent dans son jardin…) :

  • 1ère étape : choisir le vocabulaire et créer un item avec le texte correspondant
  • 2ème étape : intégrer une photo (soit une nouvelle photo, soit une photo présente dans l’album). Pour cela j’avais en parallèle ouvert Safari avec Google images, ce qui me permettait de sauvegarder les images adéquates dans mon album photo.
  • 3ème étape : enregistrer un son. Le son était joué par mon ordinateur via ses hauts-parleurs, et l’iPad était posé à côté pour le capter.

tapikeo2

A noter que cette application possède bien d’autres possibilités que je n’ai pas exploitées ici.

Utiliser une synthèse vocale

En parallèle, j’ai également cherché une application possédant une synthèse vocale, afin que mon grand-père puisse générer n’importe quelle phrase et se faire entendre tant qu’il ne maîtrise pas la voix œsophagienne.

Cette fois-ci mon choix s’est porté sur Grid player. Cette application, gratuite, possède une voix de synthèse de bonne qualité, et un clavier de grande taille.

grid_player1

Il est possible dans le menu de choisir entre une voix féminine et une voix masculine.

grid_player2

Tout comme la précédente je n’ai utilisé qu’une toute petite partie de ses fonctionnalités ici, à savoir la grille « Text Talker »

Les embûches dues à la méconnaissance de l’outil

Comme on peut s’en douter, il y a eu un décalage entre ce que j’avais imaginé et la réalité du terrain.

Pour bien vous présenter les choses il faut juste que je vous donne quelques informations sur mon grand-père. Celui-ci est relativement âgé, et le bilan cognitif au moment de l’intervention a décelé un léger trouble cognitif. Par contre il sait déjà se servir d’un clavier (il a longtemps tapé à la machine à écrire et possède désormais un ordinateur).

L’application qui lui a le plus convenu est Grid Player. Il a tout de suite été à l’aise avec l’interface (mis à part pour les apostrophes et autres accents qu’il faut aller chercher dans un sous-menu).

Pour ce qui est de Tapikeo nous avons été confrontés à plusieurs soucis : les enregistrements que j’avais faits n’étaient pas assez forts (il a une surdité non appareillée), et surtout il a tendance à garder le doigt trop longtemps appuyé sur les images, ce qui les déplace.

Nous avons retrouvé ce même problème sur la page d’accueil de l’iPad : en gardant le doigt appuyé trop longtemps sur les icônes d’applications, le risque était qu’il finisse par les supprimer par erreur. La manipulation du curseur pour déverrouiller la tablette n’était pas évidente non plus, car un peu trop lente.

Enfin je lui avais installé plusieurs autres applications (météo, résultats du loto, jeux de cartes…) qui ne l’intéressaient pas particulièrement car il accède à toutes ces informations par internet sur son ordinateur.

La solution

Nous avons finalement fait les choix suivants :

  • Réglages > Général > Verrouillage auto > 2 minutes (pour que la tablette s’éteigne toute seule quand il ne s’en sert pas)
  • Réglages > Général > Verrouillage par code  > non
  • Réglages > Général > Accessibilité > Accès Guidé > activé

J’ai ensuite ouvert l’application « Grid Player » et lancé l’accès guidé. Son iPad s’est donc transformé en synthèse vocale. Il n’a accès à rien d’autre qu’à cette application sur la tablette. Comme il n’y a pas de verrouillage par code au démarrage il n’a qu’à cliquer sur le bouton « marche/arrêt » pour accéder directement à l’application.

J’ai enfin ajouté de petites étiquettes collées directement sur la tablette pour lui signaler l’emplacement du bouton marche-arrêt, et l’endroit où il doit brancher le chargeur.

Et ça marche ?

Je n’ai pas revu mon grand-père depuis bientôt 2 mois, mais d’après ma grand-mère il se sert énormément de sa tablette. Il en est très fier, surtout devant ses amis.

Ils n’ont jamais eu besoin de m’appeler pour des questions de maintenance, donc il n’y a visiblement pas eu de bug.

Bref, c’est une belle réussite, d’autant que le reste de mon entourage était sceptique sur le fait qu’il sache se servir de la tablette, et surtout qu’elle lui apporte quelque chose.

Et puis j’ai moins de scrupules à avoir acheté une nouvelle tablette maintenant que je sais que l’ancienne est entre de bonnes mains !

Enregistrer sa voix avant la laryngectomie

Le fait de perdre sa voix de manière définitive est plus traumatisant qu’il n’y parait au premier abord.

Il y a certes le handicap social, le fait de ne plus pouvoir participer aux conversations, de ne plus pouvoir s’exprimer que par écrit ou par gestes. Mais il y a aussi des aspects psychologiques, une perte d’identité, aussi bien pour le locuteur que pour ses interlocuteurs.

Comme nous sommes sur un blog consacré aux nouvelles technologies et à l’orthophonie nous pourrions parler de synthèse vocale, ces programmes qui parlent avec une voix préenregistrée. Mais quid de la voix propre du locuteur ? De sa hauteur vocale, de son accent régional (voire de son utilisation du patois ?).

La semaine dernière encore, l’un de mes patients me confiait que l’un de ses plus grands rêves était de pouvoir réentendre sa voix. Ce monsieur souffre d’une SLA, il a été trachéotomisé pour pouvoir bénéficier d’une assistance respiratoire et ne peut donc plus parler. Par contre il lui est tout à fait possible d’utiliser de temps en temps une valve de phonation qui lui permet d’utiliser sa voix, dans la limite de ses capacités respiratoires.

A côté de cela un cancer ORL vient d’être diagnostiqué chez l’un membre de ma famille. Ce dernier doit subir une laryngectomie totale dans moins d’un mois.
Il possède toutes ses capacités cognitives, sera capable d’utiliser les gestes et le langage écrit dans un premier temps, et d’apprendre la voix œsophagienne par la suite, mais il ne ré-entendra plus jamais sa voix.

En tant qu’orthophoniste je ne pouvais pas laisser passer cela et regretter dans quelques temps que rien n’ait été fait.

J’ai donc pris mon dictaphone et j’ai traversé la France pour le rejoindre le temps d’un we.

Créer une liste de mots et l’enregistrer

Ensemble, nous avons établi la liste des mots ou expressions qu’il souhaitait enregistrer. Cette liste de 250 mots environ est relativement courte, car nous n’avions pas du tout comme objectif d’être exhaustifs. Nous voulions simplement que lui et ses proches puissent réentendre sa voix de temps en temps. C’est par exemple un grand joueur de tarot et nous avons donc enregistré tout le vocabulaire relatif aux annonces.

A la fin du we j’ai transféré l’ensemble des fichiers audios sur mon ordinateur pour pouvoir y effectuer le post-traitement (tuto à venir), mais aussi pour en avoir une copie de sauvegarde. Je lui ai également laissé le dictaphone pour qu’il puisse continuer à faire des enregistrements. Que ce soit la suite de la liste de mots, des phrases, des souvenirs, peu importe finalement, il s’agit de conserver une partie de lui à laquelle il n’aura plus accès par la suite.

Qu’allons-nous faire de ces fichiers audios ?

Bonne question. Pour l’instant les choses ne sont pas tout à fait décidées. Nous avons testé différentes applications iPad permettant de créer des « cartes » associant une image (photo ou picto) à un son. Aucune d’entre elles ne nous a vraiment convaincus (soit les interfaces sont peu flexibles, soit elles sont en anglais) mais nous avons encore le temps avant de nous décider.
Étant donné qu’il ne s’agira pas de son moyen de communication principal mais plus d’un « confort », rien n’est vraiment urgent, à part enregistrer les échantillons de voix.

Les bénéfices de l’enregistrement

Je ne sais pas encore très bien quels seront les bénéfices futurs de ces enregistrements mais j’ai d’ores et déjà remarqué plusieurs choses :

  • le temps des enregistrements a été un moment précieux, un moment d’échange comme nous n’en avions eu que très peu jusqu’à maintenant,
  • la constitution de la liste a permis à chaque membre de la famille de s’impliquer, et de réaliser à quel point perdre sa voix pouvait être traumatisant,
  • lui a pu commencer à faire le deuil de sa voix,
  • si on met en place des choses pour le post-opératoire c’est qu’on est dans une dynamique positive, on ne pense pas à ce qui pourrait mal se passer pendant l’opération, on anticipe
  • enfin cela lui a permis aussi de me poser toutes les questions qu’il voulait à propos de l’opération, de la période post-opératoire, et de l’apprentissage de la voix œsophagienne.

Bref, à mon petit niveau j’ai eu l’impression de l’aider à être un peu plus serein par rapport à ce qui va lui arriver.

J’encourage donc toutes les personnes qui sont amenées à perdre leur voix, et leurs familles, à réaliser des enregistrements. Après l’opération il sera trop tard.

Réentendre sa voix est possible, il faut juste anticiper !